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Critique²


Dead Souls

dark-souls-difficulte-partout-plaisir-nulle-part

 

http://rockyrama.com/super-stylo-article/dark-souls-difficulte-partout-plaisir-nulle-part

 

à Jean Zeid,

 

Un brasier qui s'éteint indéfiniment ; une lueur dans son regard ; l'intelligence de croire qu'il lui en reste. Le joystick droit tourne et retourne sous la pression de son pouce, en vain. L'histoire s'est depuis longtemps effacée. Mais voilà que des bribes s'animent pour mieux le tourmenter. Il tente une roulade, recommence, sans cesse, cette piqûre de rappel :

IL EST MORT

Déçu, il abandonne la manette, saisit la plume, tente de passer au travers des avis des uns et des autres, espère atteindre l'erreur d'interprétation où tout a commencé. Mais comment retrouver la norme ludique, dans ce lamen de pensée frite, où les références littéraires n'apparaissent qu'en post-scriptum ?

IL EST MORT

Des heures de réécriture pour poser une idée, et toujours aucune ombre de fierté dans son stylo. La tentation impérieuse de poser définitivement ce stylo, malgré les indices qui laissent penser qu'un débat philosophique attend les plus vaillants pigistes.

IL EST MORT

Désormais, il n'espère qu'une chose : redevenir un pixel bondissant sur des parois immobiles ; accélérer en se rapprochant des extrêmités, jusqu'à ce qu'une plateforme mouvante et éminemment subjective échoue à l'intercepter.

La suite, vous la connaissez...

 

La critique 

!!! Attention, ce billet parle de jeux vidéos. Un haut niveau en anglicisme est recommandé !

 

Le choix de From Software de pondre des jeux inaccessibles à qui n'en possède pas la maîtrise et/ou la volonté est ce qu'il est : un choix. Contester un choix, à défaut de connaissances dans le domaine concerné (ici le game design), est une mauvaise idée. Mais il y a cette image du critique courageux qui, tel l'adhérent du RN, ose dire tout haut ce que les autres pensent tout bas, à commencer par des conneries :

 

- Les héros y sont faibles, souvent fatigués quand ils ne sont pas à moitié morts

 

Les personnages sont morts dans Dark Souls 1, 2, et 3. Ce sont des morts-vivants tout ce qu'il y a de plus mort.

 

On peut faire grâce à ces jeux de leur technique chancelante et des chutes de framerate régulières dont on se fiche. Ce dont on se fiche moins, c’est que ces Souls font aussi partie de la catégorie Die and Retry, car c’est bien la mort le moteur du jeu.

 

Dans la première moitié du texte, l'auteur assume l'expression de son goût personnel par l'intermédiaire du "je" (jusqu'à "l'universalité du jeu vidéo"). Passé la quatrième photo, il se risque à défendre l'idée que Dark Souls est un die and retry, et qu'en tant que tel, il ne mérite pas d'avoir des temps de chargements aussi longs. Si le ton n'était pas aussi impertinent (passage du "je" au "on" à partir de la citation ci-desus), je me contenterai d'être d'accord.

Mourir est punitif dans Dark Souls : le joueur perd son humanité et peut aussi perdre l'expérience accumulée. Il ne peut donc pas s'agir d'un die and retry. Dans un die and retry, la mort fait partie de la courbe de progression. On découvre qu'on peut mourir de telle et telle façon. On apprend ainsi les mécanismes du jeu. De fait, la mort ne saurait être punitive pour le joueur. La blague serait bien trop mauvaise en effet.

Mais pourquoi, au juste, se fiche-t-on moins de la catégorie à laquelle appartient le jeu ?

L'explication de ce souci taxinomique est donnée par le premier paragraphe : l'auteur pointe du doigt la contestation qui règne sur ce point, attribuant aux fans de Dark Souls le propos défendu ci-dessus (ce n'est pas un die and retry). Le fait de résoudre plus loin cette question par l'affirmative (c'est un die and retry) permet, sans la nommer, de pointer du doigt la mauvaise foi des fans. Ouh que c'est mesquin...

 

- Autrefois, si les jeux étaient difficiles, c’était le plus souvent parce qu’ils étaient mal pensés, mal programmés, ou tout simplement, les outils n’étaient pas encore là.

 

Dès leur commercialisation, les jeux-vidéos étaient difficiles. Il fallait faire cracher de l'argent aux consommateurs de bornes d'arcade, et permettre un turn-over sensiblement équivalent à celui d'un flipper ou d'un baby-foot. Car si le jeu traditionel (comme le baby-foot) vous oppose fréquemment des adversaires, le jeu vidéo (de même que le flipper) vous oppose généralement une difficulté. La différence entre Pong et Dark Souls vient aussi de là (cf. billet de Jean Zeid). Dans le jeu vidéo, le level design, le calcul de l'IA, la palette d'actions offertes au joueur, même l'ouverture d'un menu, tout est pensé en termes de difficulté (dans les Souls, l'ouverture des menus n'interrompt pas l'action).

Passées les bornes d'arcade, les jeux Famicom (première Nintendo) ou Master System seront pour beaucoup d'une difficulté élevée (réessayez Zelda). Comme le précise le billet, cette tendance s'est inversée. Le jeu vidéo entrait dans les foyers. Il se devait d'être accessible au commun des non-joueurs.

De là à confondre jeu bâclé et jeu difficile, il y a un Grenier.

 

- Le marketing d’un retour à la difficulté a frappé le secteur comme une évidence.

 

L'expression marketing de pourrait être ôtée ici : le sens de la phrase, et du billet tout entier, resterait inchangé. Son emploi est argumentatif : il sert le point de vue de l'auteur en dépréciant le "retour à la difficulté". L'expression est reprise ailleurs dans le texte ("marketing de la difficulté").

La tendance à la difficulté assumée existe depuis longtemps chez les auteurs indépendants (Impossible Game, 2000), et plus encore chez From Software (King's Field, 1994). Le succès de Demon Souls est d'abord un succès critique (jeuxvideo, IGN, Atlus : jeu de l'année). Ce qui n'a pas empêché le jeu, comme le dit l'article, de rester un jeu de niche, passé quasi-inaperçu en Europe, et cela jusqu'à la sortie, tambourinante elle, de Dark Souls.

Quant à la difficulté, From Software a toujours fait ses jeux ainsi (la saga des Tenchu), et n'a pas été suivi par les autres producteurs dans sa démarche. Il m'est particulièrement pénible de voir qualifiée de "marketing" une recette qui accède au succès après 20 ans de pratique assidue et sans concession.

 

si ses jeux ont séduit une part non négligeable de joueuses et joueurs désireux d’en découdre en ne comptant pas leurs heures

 

Dixit un auteur qui se targue d'apprécier Diablo en mode cauchemar.

 

- Il faut bien comprendre que critiquer DS ne revient pas à critiquer les avis des uns et des autres. On peut ne pas aimer sans être obligé de dire “ce n’est pas mon type de jeu”. On pourrait alors très bien rétorquer que les avis positifs ne valent rien parce que “c’est votre type de jeu”. Cela n’a aucun sens.

 

En effet.

 

- L'histoire du RPG” de Raphaël Lucas chez Pix'n Love [:] dans le jeu de rôle papier ou vidéoludique (...), on peut parfois distinguer deux camps, celles et ceux qui prônent un jeu de rôle basé sur le combat, les donjons et les statistiques et les autres qui aiment jouer un rôle. Les Souls ne rapprocheront sans doute pas ces deux visions du RPG.

 

Que dire d'une critique qui cite un auteur pour conclure sur un point de vue personnel... On touche le fond là, non ?

 

Perso...

J'ai connu Demon's Soul à sa sortie en édition Black-je-sais-plus-quoi et j'ignorais tout de ce que mon colocataire venait d'acheter. En le regardant jouer, je me souviens lui avoir dit qu'un action-RPG aussi lent et répétitif ne pouvait être qu'un jeu de merde. Puis j'ai pris la manette. C'était fini. Je redevenais le geek de salon que j'avais cessé d'être depuis des années.

Appuyer sur le bouton au bon moment, même pas sur le bon bouton, juste LE bouton, SANS que cela engendre un stress qui excède notre capacité à le contrôler, cela donnerait un beat-em all avec trois coups par arme, peu de sorts, pas de scénario, pas de cinématique, pas de musique, pas d'animations juicy, peu d'interactions, un univers figé, une progression linéaire... Bref, les Souls seraient chiants à en n'en plus pouvoir crever s'ils n'étaient pas équilibrés pour être toujours à la limite de l'infaisable, s'ils n'obligeaient pas le joueur à se dépasser dans ce que le jeu vidéo propose de plus minimal : appuyer sur le bouton au bon moment (le dernier boss de Dark Souls se résume à ça).

 

Pour moi Dark Souls est un jeu "qui a l'intelligence (...) de me faire croire que je le suis" (Jean Zeid). L'univers possède une ambiance unique, tissée de nombreuses inspirations (Lovecraft en est une - le Roi Jaune dans Demon Souls -, mais elles sont nombreuses). Les architectures sont vertigineuses, démentielles parfois. Leur exploration, quand on sait qu'un restart nous attend à chaque enjambée de trop, force à avancer sans jamais foncer tête baissée. Le scénario déçoit, car il se termine comme le fait chaque mort, en bouclant. Mais c'est finalement ce qui amène cette saga au rang d'oeuvre culturelle : la mort a tout emporté, plus rien n'a de sens (on appuie sur des boutons je veux dire...), avancer, avec prudence et détermination, lutter contre sa propre résignation, ou devenir l'ombre de soi, une carcasse qui se rue rageusement sur la première âme venue, encore et encore.

 

Alors debout, bande de mous !

 

 

 

Le gars derrière

 


30/08/2019
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